J'ai vécu les dernières semaines de vie de ma maman dans un état de grâce. Ma mère était douce, si douce et paisible que lorsque j’étais à ses cotés, je me sentais profondément en paix. Rien n’était grave, même plus sa mort. Je me sentais rassurée, je ressentais intensément le bonheur d'exister et d'être ensemble.
Je me souviens d'états semblable, petite, quand je devais avoir deux ans ou trois ans à peine, avant d'arriver dans mon petit village dans l’est de la France, quand nous vivions en appartement en ville. Nous étions dans un huit clos et j’avais maman très près de moi. Elle ne travaillait pas et consacrait ses journées à son mari et à ses deux filles. Beaucoup de flash sont remontés sur cette période. Je me suis rappelé qu’elle était comme ça quand j’étais petite, d’une douceur extrême.
Quand ces derniers temps, je lui mettais de la crème sur les bras, les épaules et que je la massais, je lui disait « Maman tu as la peau douce ! » et elle me répondait « Tu me disais la même chose quand tu étais petite. ». J’étais émue, je ne me souvenais plus d’avoir touché ma maman, mais une émotion agréable remontait… Et c’est quelque chose qu’on m’a très souvent dit, que j’avais la peau douce et je me rends compte aujourd'hui que je ne savais pas recevoir ce compliment.
Je prends conscience que j’ai bloqué aussi les souvenirs et émotions positifs… Jusque là je croyais qu’on enterrait que nos émotions négatives pour ne pas souffrir. Je vois malheureusement qu’on sait aussi se couper du meilleur de ce qu’on a vécu. On est capable d’effacer les bons moments parce qu’on enfuit tellement profondément les choses qu’on a peur de perdre, qu’on finit par ne plus s’en souvenir ou par les oublier !
C'est peut être pour cela que je suis devenue citadine, pour retrouver le cocon d’un petit appartement feutré et convivial et que j’ai choisi de recevoir chez moi ma clientèle, pendant 7 ans !
À la campagne mes parents ont vite été trop occupés pour s'occuper de nous, il y avait cette maison à finir, le jardin à entretenir, un nouveau lien social à créer pour exister dans un nouveau monde, la crise pétrolière... Maman est devenue préoccupée, dure, stressée par notre éducation, et la vie quotidienne d'un couple. Elle n’était plus dans sa joie de vivre. J'ai perdu ce lien de douceur avec ma mère.
Je l'ai retrouvé avant sa mort. Je ne l'avais pas perdu, je ne le voyais plus, c'est tout. La mort
nous fait soudainement chausser des lunettes spéciales.
Jai vécu ce même état particulier et profond avec mon père un an avant sa mort.
Si ma mère avait été comme ça toute mon enfance, je ne l'aurais jamais lâchée. Je serai restée sous sa coupe, protégée
du monde hostile par sa douceur. Je me rends compte que du coup je ne me serai jamais émancipée pour vivre ma vie. Je serai resté dans mon village et serait vieille fille aujourd’hui. Et à sa
mort, je me serai sentie perdue et abandonnée dans un monde hostile !! Comme quoi la dureté à du bon.
J’avais eu aussi un message quand j'étais enceinte au printemps, que notre enfant serait obligé de couper les ponts, adulte, avec nous pour découvrir un autre monde que celui des bisounours. Qu'il nous en voudrait de l’avoir élevé dans un cocon baigné d''amour parce que le quotidien est bien loin de cette « réalité là ».
Alors je comprends de mieux en mieux pourquoi je passe par tout ça cette année, pour modérer mon don
et ma présence aux autres. Je comprends pourquoi j'ai été dure, il y a des années dans mon travail et dans ma vie affective. Pour me protéger certes, mais pour provoquer
inconsciemment un état d'émancipation dans mon entourage.
Je sais aujourd'hui que cette douceur que nous avons partager toutes les deux, sans lutte, sans attente, sans colère et sans
reproche est un moment intense dont son âme se souviendra et déterminera ses choix pour sa prochaine vie.
J’ai la croyance qu’en mourant, on se remémore les vrais partages et intentions. Je sais dans mon fort intérieur que ma maman
et moi n'avons jamais agi pour nuire ou faire du mal consciemment. Je sais que notre cœur est pur et ne souhaite que le bonheur sur la terre. J’ai partagé cela avec elle. Je la pardonne de tout
et me pardonne aussi.
Avoir eu ces compréhensions grâce à ses derniers moments de vie est un cadeau colossal pour
moi.
Nos mamans sont précieuses. Essayons de les regarder avec un autre regard et si nous n’y arrivons pas aujourd’hui, prions
pour que ce jour vienne.